Exclues du sport ?

Auteur : Villard, Flavien
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Fig. 1 : La coureuse du Vatican, statue en marbre, Ier s. av. J.-C., Rome, Musei Vaticani, Inv. 2787. © Wikimedia Commons. Photo : Jastrow.

 

Le stéréotype selon lequel toutes les femmes grecques seraient tenues à l’écart des activités sportives est tenace. L’image de l’épouse athénienne qui, selon Xénophon (Économique, X), ne doit avoir pour seule activité physique que la tenue de sa maison, ne saurait résumer les myriades de situations que connaissent les femmes en Grèce. En réalité, les activités athlétiques agonistiques (compétitives) ne sont pas un domaine dont les femmes, dans leur ensemble, sont exclues. Leur participation dépend de leur statut comme de leur cité d’origine et les Grecques peuvent être des actrices de l’espace sportif.
Ainsi, dans de nombreuses régions des groupes de jeunes filles non mariées participent à des courses rituelles à caractère agonistique :   le statut matrimonial prime alors sur le sexe. C’est le cas du concours des Heraia organisé sur le stade d’Olympie en l’honneur de la déesse Héra (1), des Dionysiades de Sparte (2) ou encore des épreuves organisées pour les jeunes filles en Macédoine et en Thessalie (3). Certains historiens considèrent que ces rencontres, actes rituels qui rassemblent des adolescentes issues des élites, symboliseraient le passage à l’âge adulte concrétisé par le mariage. Dans d’autres cas, les activités athlétiques ne séparent pas les femmes des hommes mais le groupe des citoyens du reste de la population. À Sparte, les femmes libres participent non seulement à des courses mais aussi à des exercices de force, avant et après le mariage.

Notes :
(1) Pausanias, Description de la Grèce V, 16.
(2) Pausanias, Description de la Grèce III, 13.
(3) Voir notamment Hatzopoulos Miltiade, Cultes et rites de passage en Macédoine, Αθήνα (Athènes), 1994.
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Fig. 2 : Edgar Degas, Jeunes Spartiates à l’entraînement, 1860. Huile sur toile, Londres, National Gallery, Inv. NG3860. Photo : N. Ernoult

 

Les Spartiates, une attention particulière aux activités physiques ?


Sparte est souvent décrite comme un modèle de cité unique en Grèce et l’activité athlétique des femmes constitue un point essentiel de l’argumentaire. Présenter les femmes spartiates comme des athlètes accomplies est donc un topos (cliché) qui parcourt l’Antiquité et l’époque contemporaine. Et lorsqu’Edgar Degas prend pour sujet la cité du Péloponnèse, il représente tout naturellement des jeunes filles dénudées qui défient de jeunes garçons sur un terrain d’entraînement.
Cette réputation est ancienne et, dès l’époque classique, à Athènes, plusieurs auteurs aux visées opposées avancent cette idée. Euripide, dans Andromaque, et Aristophane, dans Lysistrata, utilisent ce cliché et font dire à certains de leurs personnages que les exercices de course et de force ôtent aux Spartiates toute pudeur sexuelle et font d’elle des femmes sexuellement actives. Au contraire, Critias (1), Xénophon et Platon défendent ce modèle tourné, selon eux, vers la teknopoiia (fabrique efficace d’enfants). À l’époque romaine, Properce et Plutarque entretiennent l’ambiguïté de l’image. Leurs Spartiates, qui manient également le javelot et le disque, sont pleines d’attraits et remplissent au mieux leurs devoirs de mère.
Malgré la partialité de ces témoignages, observons que dès l’époque archaïque, Sparte se distingue d’Athènes, car les femmes libres de la cité pratiquent des activités physiques régulières, notamment dans la perspective de la teknopoiia. Deux activités semblent privilégiées : la course et des entraînement comme le bibasis, qui est un enchaînement de talons-fesses.

Notes :
(1) Critias, fragment de la Constitution des Lacédémoniens dans Clément d’Alexandrie, Stromates, VI, 2.

Des héroïnes athlétiques

Dans les mythes, les femmes ne sont pas toutes réduites à un rôle passif et éloignées des activités physiques. Quelques histoires présentent sous un jour positif des figures féminines aux qualités athlétiques exceptionnelles. Le point commun entre ces personnages est d’être des jeunes filles non mariées (parthenoi) auxquelles leurs prouesses sportives donnent un attrait supplémentaire. Certaines de ces héroïnes sont rebelles au mariage et toutes refusent les activités présentées comme traditionnellement féminines. Chacune doit finalement céder au pouvoir d’Aphrodite, à laquelle nul mortel ne saurait échapper.

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Fig. 3 :  Amphore à col à figures noires, attribuée au Peintre d’Atalante de Munich, 550-500 av. J.-C., Munich, Antikensammlungen, Inv. J584 / 1541. © Munich, Antikensammlungen. Photo :  DR.

 

Atalante était une jeune Arcadienne, fille d’Iasos, qui refusait de se marier. De l’époque archaïque (Théognis, Élégies II, 1282-1293) à l’époque impériale, divers auteurs affirment qu’elle s’enfuit de la maison paternelle et accomplit de nombreux exploits. Chez certains auteurs, elle vainc notamment Pélée à la lutte, lors des funérailles du roi Pélias. L’héroïne fut finalement séduite par Mélanion qu'elle épousa. L’épisode de lutte connait un grand succès dans la céramique grecque au cours du VIe siècle av. J.-C., que ce soit en Attique ou dans d’autres régions. Atalante, reconnaissable sur l’image à son teint blanc, domine Pélée qu'elle tient fermement par la nuque.

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Fig. 4 : Guido Reni, Hippomène et Atalante, 1620-1629. Huile sur toile, Naples, Musée de Capodimonte, Inv. Q349. © Wikimedia Commons. Photo : Trzęsacz.

 

Un autre récit raconte comment Atalante, Béotienne et fille de Schoineus, repoussait toute union et défiait ses prétendants à la course, avec l'approbation de son père. Son histoire est essentiellement rapportée par des fragments du Catalogue des femmes (fr. 73-76). Du fait de sa beauté et de sa grâce, les jeunes hommes qui désiraient obtenir sa main étaient nombreux. Hippomène seul sortit vainqueur de cette épreuve grâce aux pommes d’or d’Aphrodite qui ralentirent la course d’Atalante. Il put ainsi épouser la jeune fille et échapper à la mort qui attendait les concurrents malheureux. Si ce mythe semble n’avoir connu que peu de succès dans la céramique grecque, la version ovidienne des Métamorphoses (X, 560-680) a influencé la peinture européenne de l’époque moderne. Comme Guido Reni, plusieurs artistes choisissent de représenter le moment où la jeune fille qui se saisit des pommes accepte symboliquement le mariage.

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Fig. 5 : Relief sculpté en marbre, 120-140 ap. J.-C., Londres, British Museum, Inv. 1861, 1127.30. Photo : ©Trustees of the British Museum.

 

Dans différentes versions du mythe, Cyrène est présentée comme une jeune fille athlétique qui combattait les fauves et lutta victorieusement contre un lion (Callimaque, Hymnes II, 91-92). Pindare (Pythiques IX, 21) affirme qu’elle était fille d’Hypseus. Apollon, pris de désir pour elle alors qu’il assistait à cette lutte, l’enleva pour l’emporter en Afrique et s’unit à elle. Liée à la fondation de la cité éponyme de Libye, la figure de Cyrène était donc importante dans la région, et ce encore à l’époque impériale. Plusieurs représentations de la jeune fille terrassant le lion nous sont parvenues, dont ce bas-relief du IIe siècle ap. J.-C. Karpos y remercie Cyrène, représentante de la cité, de son hospitalité. Couronné par la Libye, la jeune fille y apparaît dans toute sa gloire, résultat de prouesses athlétiques exceptionnelles.