Éternelles mineures ?
Trop souvent, on considère les femmes libres de la Grèce antique comme des éternelles mineures, placées depuis l’enfance sous la tutelle de leur père puis de leur mari, voire de leur fils, oncle ou neveu. À la différence des garçons, les filles n’accèderaient jamais à la pleine responsabilité sociale qui caractérise les adultes. Le mariage serait le signe de cette domination qui s’exercerait dans le domaine juridique et sexuel. Motif récurrent des céramiques peintes, la scène du passage de la mariée vers la maison de son époux, tête baissée et tenue par la main, est très stéréotypée. Pourtant, avec le mariage, l’épouse n’abandonne pas son nom (nom personnel et patronyme) ni ne coupe les liens avec sa famille de naissance (elle transmet des biens à ses enfants). En revanche, elle confie son corps et les ressources transmises par ses parents d’origine à son mari. Celui-ci, désormais, est son « tuteur » (kurios) dans le sens où il l’assiste, l’accompagne ou la représente dans les institutions d’où les femmes sont exclues (assemblées politiques, tribunaux). Cette « tutelle » n’empêche pas, toutefois, des femmes de témoigner au tribunal. Agaristé, épouse d’Alcméonidès, a dénoncé trois citoyens devant le Conseil en 415 et en 399, Andocide la fait comparaître devant le tribunal (1). Parfois le kurios n’intervient que pour authentifier un acte après que toutes les étapes, depuis la négociation jusqu’à la prise de décision, ont été franchies sans lui : Nikareté intervient elle-même à Orchomène, en Béotie, afin d’être remboursée de son prêt. Son époux, présenté comme son kurios, n’intervient que lors du règlement final qui enregistre la reconnaissance de dette (2). La « tutelle » des femmes s’exerce, finalement, surtout dans les contextes qui mettent en jeu les instances publiques de la cité, nous dirions son administration. Le kurios est présent moins pour agir au nom d’une femme que pour attester, par sa simple présence, la validité des informations énoncées par sa compagne.
Des femmes propriétaires de terres
Une inscription, datant du début du IIIe s. av. J.-C. et trouvée à Ténos, dans les Cyclades, rend public les contrats de vente de terre passés entre propriétaires de l’île durant plus d’une année. Sur les 47 actes mentionnés, 30 concernent des femmes (acheteuses ou vendeuses) qui sont mentionnées dans cinq des huit affaires mettant en jeu les sommes les plus importantes. Propriétaires, les femmes apparaissent toujours mentionnées avec un kurios (« tuteur ») dont la présence – requise – ne modifie en rien la transaction. Ainsi : « Aglaïs fille d’Ainétos (?), de la ville, ayant pour tuteur (ἧς κύριος) Isodèmos fils d’Isodèmos, Donakeus, a acheté (ἐπρίατο) à Diôn fils de Stratios, de la ville, la maison et les terrains situés à Panormos et appelés “A Mèlia”, ayant pour voisins (οἷς γείτονες) Pétalè et Bacchiôn, et les parcelles qui limitent ces terrains, pour 700 drachmes. Garants (πρατὴρ) de la vente : Hègéléôs fils de Téléstratos, Thryésios. » (1).
Femmes au travail
Selon les sources issues de la tradition manuscrite, la première forme de travail qui existe à Athènes s'exerce dans la maisonnée, et s'organise autour de la gestion des esclaves, la préparation de la nourriture, l'éducation des enfants et la bonne tenue générale de l'oikos. Toutefois, les Athéniennes, et pas seulement les métèques et les esclaves, peuvent être amenées, lorsque le niveau économique de la famille le justifie, à exercer une activité professionnelle rémunérée destinée à pourvoir aux besoins vitaux. Deux cas de figure se rencontrent alors : soit la femme produit des biens à l'intérieur de sa maison (des pains, des vêtements, des gâteaux...) et se rend sur l'agora afin de les vendre au marché, soit elle exerce une activité indépendante de son oikos. Dans ce cas, le domaine investi par les femmes s'avère très vaste : artisanat (cordonnière, mais également orfèvre ou peintre comme en témoigne l'image mettant en scène une femme attachée à la décoration d'un vase), mais aussi « services » (nourrices, blanchisseuses, tenancières de maisons closes ou de cabarets). Il est nécessaire de souligner l'autonomie que confèrent ces métiers. Certaines en tirent fierté au point de faire graver leur activité professionnelle sur les dédicaces des objets qu’elles consacent aux divinités. Dans ces occasions, les femmes évoluent à l'extérieur de leur oikos et côtoient d'autres hommes que leurs maris, soit sur l'agora où les marchandes ne sont pas séparées géographiquement de l'emplacement des vendeurs masculins, soit dans leurs boutiques.