Renverser l’ordre établi

Lutter contre l’Ordre et la morale

« Le conformisme avait ici son emblème, sa statue, c’était l’Ordre des médecins. Grande machine immobile et féroce, la médecine de caste en contrôlait tous les rouages. C’était un sanctuaire où s’étouffaient les bruits du dehors, se perdaient les courants qui traversaient la nation. »

Extrait de l’autobiogrpahie de Pierre Simon, De la vie avant toute chose, Paris, Mazarine, 1979, p. 40.

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Fig. 1 : Déclaration des médecins du Groupe information santé (s.d.), 21x27 cm, fonds du GIS (44 AF 30). Centre des archives du féminisme.

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Fig. 2 : Affiche du MLAC, Claire Bretécher (1973), 57X67,5 cm, fonds du Centre de documentation du MFPF (AVO 0250), propriété du Centre de documentation du MFPF.

Malgré les avancées obtenues avec la loi Neuwirth, l'Ordre des médecins reste au début des années 1970 un bastion du conservatisme. En effet, cette institution créée sous Vichy, ce que certains médecins ne manquent pas de dénoncer, détient encore une forme de monopole sur la morale et les pratiques médicales, et un pouvoir de condamnation et d'exclusion important (Fig. 1). De plus, l'Ordre, imprégné d’une morale sexuelle catholique, est aussi parvenu à imposer une norme sociale de la procréation et une vision étroite du rôle des femmes, tout en promouvant une conception datée et réactionnaire de la médecine (Fig. 2). Il est combattu par le Groupe information santé (GIS), créé de manière informelle en 1972 par de jeunes médecins engagés à l’extrême gauche. Certains médecins refusent ainsi de régler leurs cotisations auprès d’une institution qu’ils méprisent et souhaitent voir disparaître (Fig. 3).

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Fig. 3 : Tract du GIS (s.d.), 21x27 cm, fonds du GIS (44 AF 28), Centre des archives du féminisme.

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Fig. 4 : Extrait d'un bulletin spécial du GIS (1973), 15X21 cm, fonds du GIS (44 AF 33), Centre des archives du féminisme.

Exercer dans l’illégalité

Le GIS met en avant une nouvelle conception de la médecine, qui valorise le contrôle de la patiente sur son propre corps et sa santé, tout en déplorant le manque d’évolution dans la pratique de la médecine et le manque d’information du public en termes de sexualité et d’avortement (Fig. 5).  Il s'engage très tôt dans la lutte pour l'avortement, que ses membres pratiquent de manière illégale, notamment grâce à la méthode Karman. Cette méthode permet d’avorter sans risques, de manière moins invasive et moins douloureuse (Fig. 4). Certain.e.s choisissent d'exercer dans l'illégalité, à l’image d’Annie Ferrey-Martin. Au début des années 1970 s'opère donc un glissement vers un militantisme plus radical, avec des médecins qui acceptent de remettre en cause le statut social et la respectabilité liés à leur profession. Les médecins qui s'opposent à l'Ordre et à ses conceptions voient dans leur pratique professionnelle et militante un moyen de changer la société

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Fig. 5 : Manifeste du GIS (s.d.) 18X26 cm, fonds du GIS (44 AF 28), Centre des archives du féminisme.

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Fig. 6 : Photographie d’Annie Ferrey-Martin, Jean-Régis Roustan (1973), Centre de documentation du MFPF de l’Isère, propriété du Centre de documentation du MFPF de l’Isère.

Annie Ferrey-Martin (1936-1980)

Issue d’une famille de médecins, Annie Ferrey-Martin fait ses études de médecine à Paris, et se spécialise comme anesthésiste. Elle y fréquente les cercles maoïstes et anime des groupes de parole avec des étudiants, sur les thèmes de la sexualité et de la contraception. Elle se forme ensuite en Angleterre sur la méthode Karman d’avortement par aspiration. Elle est interpellée puis inculpée le 8 mai 1973 pour avoir pratiqué un avortement sur une jeune fille. Son inculpation provoque une forte mobilisation. L’affaire se termine finalement par un non-lieu en 1976. Jusqu’à la fin de sa vie, elle continuera de revendiquer ouvertement ce geste militant et désintéressé. À sa mort en 1980, l’association Choisir la décrit selon ces mots : « Elle reste pour nous le symbole du médecin qui ne se soumet pas ». 

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Fig. 7 : Pétition en soutien à Annie Ferrey-Martin, document anonymisé (vers 1974), 21x27 cm, fonds du MLAC (10 AF 44), Centre des archives du féminisme

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Fig. 8 : Photographie d’Henri Fabre issue du magazine Noir et blanc n° 872 du 17 novembre 1962, photographe inconnu, Centre de documentation du MFPF de l’Isère, propriété du Centre de documentation du MFPF de l’Isère.

Henri Fabre (1920-2012)

Henri Fabre est né en Isère dans une famille d’instituteurs républicains. Pendant l’Occupation et parallèlement à ses études de médecine, il s’engage dans la résistance. Une fois ses études terminées, il s’installe comme gynécologue à Grenoble et rentre en contact avec l’association Maternité Heureuse. Contre l’avis de sa présidente, il ouvre en 1961 le premier centre du MFPF qui rencontre un succès immédiat malgré les critiques.  Il participe ensuite à la création du collège des médecins. Pierre Simon, autre médecin du Planning familial, le décrit comme « un type merveilleux, rationaliste, athée, qui ne craignait ni la loi, ni la police, ni rien ».