Ridiculiser la femme
Cette caricature anglaise fait référence au match international disputé sur le terrain de Deepdale à Preston. Elle croque ironiquement la pratique féminine. D'abord, elle s'interroge sur les réelles motivations de ces "vieux" gentlemen qui manifestent un intérêt soudain pour le football.
Ensuite, elle insiste sur des défauts jugés comme spécifiquement féminins. La femme est tour à tour frivole et hystérique. L'auteur souligne la coquetterie des joueuses : représentée devant son miroir, la gardienne de but se poudre et ne s'occupe que très peu de la partie qui se déroule.
La caricature s'affirma comme une arme redoutable pour brocarder la footballeuse, non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi sur le continent. En effet, pour certains dirigeants, notamment ceux de la Fédération anglaise de football, le succès rencontré par le football féminin risquait de remettre en cause cette respectabilité acquise par le ballon rond à la veille du conflit. Il leur semblait que les femmes s'affirmaient de plus en plus comme les représentantes de leur communauté, au niveau local comme national. C'est bien cette dimension politique qui bouleversait la hiérarchie des sexes. Les femmes pouvaient jouer au football mais en privé.
L’antiféminisme footballistique
Au début des années 1920, les sociétés européennes espéraient un « retour à la norme », notamment dans les rapports des sexes. Ce retour à l’ordre habillait une réalité sociale et culturelle régressive pour les femmes.
La caricature française s’inscrivait dans cette dynamique : la femme devait avant tout rester un objet esthétique, présentée avec son attirail de séduction (parfum et poudrier) et son miroir, ustensile indispensable au développement de son narcissisme. L’appropriation illégitime de vertus masculines, comme l’héroïsme, était condamnée.
En Grande-Bretagne, où les jeunes footballeuses rencontraient un succès certain, puisque plusieurs milliers de spectateurs se déplaçaient à chaque rencontre, et s'affirmaient comme les représentantes de leur communauté, la Fédération adoptait une mesure radicale : lors de son conseil du 5 décembre 1921, elle interdit à ses associations affiliées d'apporter un soutien quelconque aux équipes féminines (interdiction de prêter son stade et ses terrains, d'apporter ses conseils techniques aux jeunes filles ou d'arbitrer leurs rencontres). Deux motifs furent invoqués : les recettes destinées aux œuvres de charité étaient en fait détournées au profit de managers ; la pratique féminine était « inesthétique ».
On s'attacha alors à légitimer cet ukase : médecins et hygiénistes s'accordaient sur la dangerosité de ce sport, suspecté notamment de rendre stérile les pratiquantes ; le football pouvait aussi enlaidir la femme et la condamner au célibat perpétuel. Ces représentations contrastaient avec les représentations de la pratique au cours du conflit et dans l'immédiat après-guerre.
Sur le continent, la presse sportive radicalisa aussi son discours. La caricature allemande présentée ici tendait à démontrer l'incompatibilité entre la femme et le ballon rond, insistant notamment sur les formes généreuses des joueuses et leur maladresse. Cependant, la condamnation du football féminin par le mouvement sportif se fit plus tardivement et de manière moins unanime.
En France notamment, les discours donnèrent lieu à une véritable cacophonie. D'abord, parce que le football masculin avait encore à souffrir d'un certain mépris des pouvoirs publics et de la presse et n'était pas encore devenu un sport national. Ses lettres de noblesse, il allait les acquérir progressivement : d'abord, au cours des Jeux olympiques de 1924 organisés à Paris, puis en 1927, lorsque le président de la République assista pour la première fois à la finale de la Coupe de France. Dans le même temps, les effectifs des pratiquantes restaient faibles : en 1922, on comptait une vingtaine d'équipes sur l'ensemble du territoire alors qu'elles étaient plus de 150 outre-Manche. Cette faiblesse du mouvement footballistique, masculin comme féminin, explique la relative longévité de la pratique féminine et de ses représentations tout le long des années 1920. Ce ne fut qu'aux débuts des années 1930 qu'un consensus se réalisa autour de la condamnation du football féminin, synonyme de reflux de la pratique dans toutes les sociétés européennes. Les dernières résistantes étaient condamnées à une clandestinité sportive.
Les représentations du football féminin avant 1921
Avant décembre 1921 et la condamnation de la pratique par la Football Association, les femmes avaient montré à plusieurs reprises leurs qualités footballistiques. Plusieurs articles de presse en témoignent.
Extrait du Evening Chronicle, 1er décembre 1917
"The Barrow players failed to get into their stride, although Dickinson made a clver attempt on the left. Cornforth made several good attempts to score and when a penalty was given against Cookson for hands, she mades no mistakes and scored a good goal. Thhe Barrow backs were seldom able to clear effectually, and from one poor return Willis scored a good goal."
Traduction française : "Les joueuses de Barrow manquaient à trouver leur rythme de jeu, malgré la tentative avisée de Dickinson sur le côté gauche. Cornforth fit plusieurs tentatives de frappe et, lorsqu’un pénalty fut sifflé pour une faute de main de Cookson, elle ne trembla pas et marqua le but. Les retranchements dans le camp des joueuses de Barrow étaient rarement effectués de manière propre et Willis en profita pour marquer un but".
Cet extrait du Evening Chronicle revient sur un match disputé entre l’usine de Sir W.G. Armstrong, Withworth & Co., Ltd et celle de Vickers Ltd de Barrow-in-Furness. La rencontre se déroula à la fin novembre 1917 à Saint James Park, sur le terrain de l’équipe masculine professionnelle de Newcastle, devant 8000 personnes. Le Evening Chronicle rendit compte du match de manière professionnelle. Seuls le caractère charitable du match et la qualité du jeu développé par les jeunes ouvrières semblaient retenir l’attention.
Extrait de Sport of Dublin, 5 novembre 1921
"If the Irish Seniors League players could play football of the clever and attractive character displayed by D.K.L. team last week at Windsor Park then there would be larger crowds and greater gates. The ladies were as speedy and as clever as the Internationals of the previous week-end and better shots."
Traduction française : "Si les joueurs de la ligue Senior irlandaise pouvaient jouer un football d’un caractère aussi habile et attractif que celui disputé par l’équipe des Dick Kerr Ladies la dernière semaine à Windsor Park, il y aurait plus de foule et un plus grand nombre d’entrées. Les femmes étaient aussi rapides et habiles que les internationaux le précédent week-end et de meilleures frappeuses."
Les progrès rapides réalisés par le football féminin étaient soulignés par la presse comme en témoigne le journal irlandais Sport of Dublin. Cet hebdomadaire sportif assurait que les Dick Kerr Ladies proposaient un jeu plus alléchant que celui des équipes masculines. Les périodiques s’enthousiasmaient en général pour le spectacle offert et insistait sur la maîtrise technique et tactique des équipes féminines. Ce type de discours s’effaça après la décision de la Football association et laissait place aux contempteurs du football féminin.
Regards du mouvement sportif sur le football féminin
Au cours des années 1920, la popularisation des sports féminins poussa le mouvement sportif à prendre position. Un consensus se réalisa rapidement : la pratique féminine devait être contrôlée, mesurée et développée uniquement dans une perspective nataliste et non compétitive. En revanche, on se divisa sur la question des sports recommandables ou non pour les femmes et sur le football en particulier.
Les textes présentés ici illustrent bien la divergence des regards portés par le mouvement sportif sur le football féminin. En effet, les discours varièrent en fonction des représentations sociales et culturelles des sports athlétiques.
Dans leur ouvrage consacré au football en 1927, Henri Bard et Henri Diffre condamnaient la pratique. Etant eux-mêmes des footballeurs notoires, ils voyaient dans le football un sport respectable, vecteur moderne de l'identité masculine.
En revanche, Géo André, qui excellait en athlétisme, notait qu'il préférait voir les jeunes filles s'adonner aux joies du football plutôt qu'à celles de l'athlétisme et du cross country en particulier, discipline beaucoup plus virile que le ballon rond.
La prise de position de Bard et Diffre était aussi liée à leur origine sociale : respectivement architecte et médecin, ils invitaient les jeunes filles à jouer au tennis et au hockey, soit les sports pratiqués dès la fin du 19ème siècle par les femmes des classes supérieures des sociétés européennes. En cela, ils entendaient maintenir le statut quo social.
A l'inverse, un article du journal Paris Soir rappelle que des publicistes soutenaient le football féminin car ce sport présentait l'avantage d'être moins coûteux et donc accessible à un plus grand nombre de femmes.
Extrait de Bard Henri, Diffre Henri, Le football association, Paris, Octave Doin & Cie, 1927, p. 187.
« Supprimons le football féminin. Il est dangereux et inélégant. Il restera à nos sœurs assez de sports pour qu'elles puissent se livrer aux ébats les plus variés(…) Du hockey au tennis, il y a une gamme de sports plus ou moins violents qui sont de nature à satisfaire les plus difficiles d'entre elles ».
Extrait d'un article de Géo André publié par Le Miroir des sports, 15 février 1923.
« Je lui ( le cross country) préfère de beaucoup le football. Les deux matches joués avant et après le cross furent voir la différence. Jouées gentiment, les parties furent agréables à suivre et les efforts n'étant pas nécessairement continus, nos sportives n'ont pas eu le temps de se laisser aller ».
Extrait de Paris Soir, février 1926, N°16.
« Le sport féminin a eu, de tous temps, d'implacables ennemis. Quelques sports cependant ont échappé à ce profond mépris et j'ai eu la curiosité de dresser une liste de ces privilégiés qui ne sauront avoir d'ennemi. La voici : le tennis, la natation, l'aviron, le golf, l'équitation, le patinage, puis le hockey, le baskett-ball (…).
Ces messieurs, qui n'ont pas manqué de prodiguer des interviews dans toutes les familles sportives, ont surtout, je crois, pensé aux jeunes filles de conditions sociales élevées (…).
Où je m'insurge, c'est lorsque j'entends condamner ces sports modestes qui n'exigent qu'un petit coin de terrain et peu d'accessoires, mais qui ont le défaut d'être l'apanage des ouvrières ou des employées. Ne condamnez donc pas l'athlétisme primitif au profit de sport de luxe, ne proclamez pas que la course à pied et le football soient néfastes à la constitution féminine ».