Le football : vecteur de l’émancipation féminine
Le club parisien de Femina Sport, fondé en 1912, notamment par Jeanne Brulé, dactylographe (assise à l'extrême droite) et Suzanne Liébrard, comptable (debout, à l'extrême gauche), proposait avant-guerre des exercices hygiéniques et disciplinaires (gymnastique, danse). Au cours du conflit, ses adhérentes marquèrent leur volonté de rompre avec les codes sexués des activités physiques en adoptant les sports athlétiques. Ce club s'affirma comme le bastion du féminisme sportif dont Germaine Delapierre, licenciée en philosophie, (en tunique blanche et cravate sur la photographie), mais surtout Alice Milliat furent les principales militantes.
En France, comme en Grande-Bretagne où le football se développait dans les usines de munitions, les femmes commençaient à taper le cuir. Elles revendiquaient ainsi le droit d'intégrer le mouvement sportif, à un moment où celui-ci accroissait son influence dans la vie nationale. Cette intégration, elles espéraient l'obtenir en manifestant leur patriotisme, notamment par la récolte de fonds pour l'achat de ballons de football destinés aux « poilus » du front.
Une fraction du mouvement sportif accueillait favorablement cette initiative, car il y voyait l'occasion de "régénérer la nation". Cependant, la confusion des genres hantait les enceintes sportives : la tenue vestimentaire des jeunes filles et l'exposition de ces corps aux regards des "poilus gouailleurs" prêtaient déjà le flanc à la critique. Les sportives étaient encouragées à revoir leur tenue vestimentaire et à pratiquer leur passion en privé.
Le football dans les usines de munitions
En Angleterre, la pratique féminine s'inscrit dans le prolongement de la mobilisation féminine dans les usines de guerres. Après 1916 et la mise en place progressive de la rationalisation du travail, les jeunes ouvrières profitaient des nouvelles opportunités de loisirs développés par le patronat. Encadrées par les surintendantes d'usine, les « munitionnettes », s'adonnaient aux joies du plein air : hockey, tennis et parfois même rugby. Mais elles se tournèrent surtout vers le football, sport pratiqué avant-guerre par leurs frères, leur père ou leur mari et qui représentait pour ces classes populaires un vecteur moderne d'intégration à la nation.
Elles ne restèrent pas longtemps confinées au sein de l’usine. Exhortées par les femmes des classes supérieures à manifester leur sentiment patriotique, les ouvrières disputaient des matchs de charité dont les recettes étaient reversées au profit d’institutions hospitalières ou autres fondations pour orphelins ou mutilés de guerre. En manifestant ainsi leur sentiment national, elles espéraient intégrer le mouvement footballistique.
Ces parties rencontraient un certain succès, validé par les masses de spectateurs qui accouraient vers les enceintes sportives pour voir évoluer les jeunes filles.
Celles-ci profitaient aussi d’une conjoncture favorable. D’abord, la guerre rendait indécente et immorale la pratique du football comme loisir et spectacle par les hommes. Cela conduit à la suspension des championnats de football professionnel masculin à partir de 1915. De fait, les adeptes de ce sport se tournèrent vers des pratiques de substitution comme la pratique féminine. Celle-ci était d’autant mieux acceptée qu’elle était légitimée par le caractère charitable des rencontres.
Fin 1918, on comptait environ 130 équipes féminines, essentiellement implantées dans le Nord, les Midlands et les banlieues industrielles de Londres. Une rencontre, disputée en décembre 1920 à Liverpool et opposant les ouvrières de l’usine de Preston à celles de Saint Helens dans le Lancashire, attira 53 000 spectateurs.