Hors-stade : la footballeuse-ambassadrice

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Joueuses françaises dans les rues de Londres, anonyme, 1920, photographie noir et blanc, collection Femina Sport, © Femina Sport. 

L'engouement pour les footballeuses ne se manifeste pas seulement dans les enceintes sportives. L'esprit de l'Entente cordiale souffle aussi dans les rues des villes anglaises qui les accueillent. Hors stade, en "civil", les sportives suscitent une effervescence populaire qui leur confère un statut de véritables vedettes.

Les "retours d'Angleterre" d'Alice Milliat témoignaient de la popularité rencontrée par les footballeuses. D'abord, elles étaient accueillies en grande pompe dans toutes les gares du pays. A Londres, reporters et photographes les sollicitaient plus d'une heure. A leur arrivée à Preston,  les sportives étaient saluées par une foule énorme qui entonna La Marseillaise.

Devenu un sport populaire, le football féminin  ne tardait pas à susciter les convoitises. Personnalités politiques et industrielles courtisaient les joueuses : réception à l'Hôtel de ville qui donnait l'occasion au maire de donner un discours sportif et politique à la fois ; sollicitation du premier magistrat de la ville de Dublin qui envoya un émissaire à Londres pour proposer aux Françaises d'effectuer une tournée en Irlande.Le football féminin prenait une dimension éminemment politique et diplomatique : les footballeuses étaient de véritables ambassadrices.

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Alice Milliat entourée de deux sportives françaises lors de la tournée française en Angleterre (première photo en haut à gauche), anonyme, 1920, journal, Archives Femina Sport, © Femina Sport.

Alice Milliat (1884-1957)

Institutrice de formation, Alice Millat épousa un employé de commerce en 1904. Elle s'installa en Angleterre plusieurs années puis revint en France après le décès de son mari. Après une reconversion  comme représentante de commerce, elle pratiqua le sport (aviron) à Femina sport.

Son projet

Elle revendiquait le droit des femmes à participer activement au mouvement sportif, à un moment où celui-ci s'affirmait comme un élément incontournable de la vie politique nationale et internationale.

Sa stratégie

Pour mener à bien ce projet, elle assura aux fédérations sportives féminines, nationales comme internationale, une totale autonomie. Les hommes étaient exclus des organes décisionnels. Ils pouvaient apporter leur concours par une assistance technique ou en qualité de délégués. Tout en se préservant d'une mise sous tutelle masculine, elle noua ensuite des contacts avec les différentes organisations nationales et internationales de sport pour qu'elles reconnaissent la FSFI comme seule organisation  compétente pour régir les sports féminins. Elle entendait ainsi discréditer les fédérations masculines et affinitaires (communistes, sociales-démocrates, catholiques) qui géraient en leur sein une ou plusieurs sections féminines.

" L'étrange victoire"

La participation d'athlètes aux Jeux olympiques d'Amsterdam de 1928 est souvent présentée comme une victoire d'Alice Milliat et du sport féminin en général.  Cette affirmation appelle cependant à la nuance.

Certes, la FSFI a toujours milité pour une participation féminine aux Olympiades, mais de manière autonome et dans des épreuves indépendantes à celles des hommes : sa direction déciderait elle-même des épreuves à disputer et de leur organisation.  Devant le refus du Comité International Olympique, la FSFI mit en place ses propres Jeux olympiques.

Les succès enregistrés et le développement du mouvement sportif féminin ( entre 1921 et 1931, le nombre de nations adhérentes passa de 4 à 25) inquiétèrent les fédérations internationales. Celles-ci cherchèrent donc à l'intégrer pour mieux le contrôler.

En 1926, il fut ainsi décidé de faire disputer, à titre d'expérience, des épreuves féminines aux Jeux olympiques. Considérant que les responsables du Comité International Olympique (CIO) avait confondu la question olympique et celle de la direction du sport féminin, Alice Milliat protesta et refusa de cautionner cette participation.

Malgré son avis, la direction de la FSFI accepta cette invitation. Ce fut le premier pas vers cette mise sous tutelle masculine tant redoutée, et qui prit, après 1933, l'allure d'une véritable Gleichschaltung (mise au pas). Lors du congrès de Berlin de 1936, les membres du CIO officialisèrent la liquidation de la fédération féminine et contraignirent Alice Milliat à la démission.

En savoir plus

Voir notamment le film d'André Drevon, « Alice Milliat », présenté au colloque « Sport et Genre (XIXe-XXe) », Université Claude-Bernard, Lyon 1, 28-30 octobre 2004.